Lorsqu'il commence à publier ses petits poèmes en prose dans des revues et des journaux, Baudelaire a beau les qualifier modestement de « bagatelles », il a pleinement conscience de ce qu'ils ont de singulier. Et nous le savons mieux désormais, ce qui s'inaugure de manière capitale dans ces textes qui visent à capter l'étrangeté du quotidien de son temps, ce n'est rien moins qu'une forme littéraire nouvelle. Rimbaud et Mallarmé vont s'en souvenir très vite - et bien d'autres après eux. Bien que le poète y songeât depuis 1857, l'-année des Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris ne parut que deux ans après sa mort, en 1869. Ses poèmes en prose constituaient pourtant à ses yeux le « pendant » de ses pièces en vers, et les deux livres, en effet, se font écho à maints égards. Mais, à la différence des Fleurs du Mal, ce n'est pas ici un recueil composé qui nous est offert : un espace de liberté, bien plutôt, où le ßâneur témoigne d'un nouveau regard venu à l'homme moderne pour lequel la réalité multiplie ses images..« J'invoque la muse familière, la citadine, la vivante, pour qu'elle m'aide à chanter les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte, comme pestiférés et pouilleux, excepté le pauvre dont ils sont les associés, et le poète qui les regarde d'un oeil fraternel », écrit Baudelaire. La métaphore évoque le petit peuple des Poèmes en prose : veuves esseulées dans les parcs, mystérieuse recluse aperçue à la fenêtre d'une mansarde, mendiants glorieux ou misérables. Donnant à voir les turpitudes urbaines et sociales de la capitale au XIXe siècle, Le Spleen de Paris complète la galerie des « Tableaux parisiens » réunis dans Les Fleurs du mal. Et le poète, tantôt dandy indifférent, tantôt flâneur fraternel, de saisir dans le spectacle ordinaire de la rue les mille et uns reflets de la modernité de son époque.
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