Les gens de lepoque 1900-1914 ne disaient certainement pas qu’ils vivaient à la «Belle Epoque». Cette appellation date d’après la Grande Guerre et est due surtout au fait que les prix de 1919 étaient six fois plus élevés que ceux de 1914. Quoi donc de plus naturel que de penser que les pommes de terre à 4 centimes le kilo, le manœuvre à 3F par jour de 12 heures er la nuit d’amour de 2 à 5 F étaient les symboles de la vie bon marché et donc d’une belle époque?
Quelles sont les caractéristiques de cette époque? Ce serait évidemment fort difficile de la définir en quelques mots sous peine de généraliser et d’arriver à une image déformée. Nous nous bornerons donc à énumérer pêle-mêle quelques-uns de ses traits les plus saillants:
— en général ce que nous appellerions aujourd’hui une haute conjoncture; — quelques inventions récentes — l’électricité, le gramophone, la photographie, les aéroplanes, le cinématographe, le téléphone — font l’admiration générale, bien que leur utilisation soit encore extrêmement rare; — surtout, la voiture automobile, avec ses vitesses folles, enchante les jeunes et terrorise les vieillards; — la bicyclette devient un outil de travail populaire; — les chemins de fer et, surtout, les trams à vapeur, pénètrent jusqu’aux plus lointains villages et font peu à peu disparaître les antiques malles-poste; — Zola, Tolstoï, Dostoïevsky, Kipling, Ibsen et Sienkiewicz sont les auteurs à la mode, tandis que Debussy libère le monde musical de l’emprise de Wagner; — Nietzsche, mort en 1900, commence à exercer son influence sur notre siècle; — les conversations sont nourries par l’affaire Dreyfus, les mouvements du socialisme, e.a. en Russie, les visites des grands ducs, du prince de Galles et de Léopold II à Paris, le tour de France, les zeppelins, Pierre et Marie Curie, les premiers taximètres, Buffalo Bill, Madame Steinheil, Charcot, Francisco Ferrer, Blériot, le tango, la disparition et le retour de la Joconde, la bande à Bonnot et son hold-up motorisé ; — une nouvelle architecture est créée de toutes pièces, le Modem Style, aux noms divers tels que style Métropolitain, style nouille, Jugendstil; les belges Victor Horta et Henry van de Velde figurent parmi les grands hommes de ce style; — la mode féminine est révolutionnée par Paul Poiret qui abolit le corset ; sur les champs de courses apparaissent des extravagances scandaleuses telles que la jupe-pantalon ; — nos épargnants pratiquent le placement bas de laine, mais beaucoup donnent à fond dans les «placements de bon père de famille» comme on appelle les achats de titres russes ;
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